Nicole Gnesotto: une part significative de la classe moyenne estime que la démocratie ne répond plus à ses attentes

Analyse indépendante sur l’avenir de la démocratie occidentale face à la mondialisation

La période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a été marquée par le pacifisme, la prospérité et le progrès dans les pays occidentaux. Dans leur ensemble, ils ont connu des décennies relativement confortables, malgré quelques exceptions, en comparaison avec d’autres périodes de l’histoire.

Et si cette phase, longtemps perçue comme une étape vers un monde globalement plus apaisé, n’était peut‑être qu’une parenthèse? Les évolutions géopolitiques récentes et le recul observé de la démocratie alimentent ce questionnement.

Une révolution plutôt qu’une simple évolution, selon Nicole Gnesotto

Nicole Gnesotto, historienne et professeure émérite du Conservatoire national des arts et métiers, était invitée dans l’émission Tout un monde de la RTS. Elle décrit une tentation autoritaire comme un courant profond qui ne s’arrêtera pas de lui‑même, évoquant même un vent de folie dans son ouvrage Fractures dans l’Occident.

« On n’est pas dans une évolution, on est dans une révolution majeure », affirme‑t‑elle. Elle rappelle qu’un système construit en 1945, par les Américains et pour les Occidentaux, reposait sur trois principes: le libéralisme économique, la démocratie et le primat du droit sur la force.

Dans ce cadre, Donald Trump serait « l’iceberg » qui amorce une révolution plus large, remplaçant ces principes par le protectionnisme, l’autoritarisme et le primat de la force sur le droit. C’est ce que décrit l’historienne comme une réalité vécue aujourd’hui.

La fin de la mondialisation heureuse et les courants idéologiques

Aux côtés de Trump, un large courant idéologique œuvrerait à ce changement, porté notamment par des acteurs de la tech et des figures religieuses qui estiment que le libéralisme économique, depuis la mondialisation, profite surtout à la Chine plutôt qu’aux États‑Unis. Selon eux, la démocratie n’est plus compatible avec leur conception de liberté totale. Ces acteurs auraient, selon Gnesotto, « pris le pouvoir » aux États‑Unis.

La perception du phénomène ne se limite pas aux États‑Unis: la mondialeisation est décrite comme n’étant plus une « mondialisation heureuse » telle qu’elle était envisagée jusqu’aux années 2000. En Occident, elle enrichirait surtout les plus riches; dans les pays du Sud, elle profiterait aussi à des couches plus modestes, selon l’historienne.

La classe moyenne et le sentiment d’insécurité économique

Gnesotto fait observer qu’une part importante de la classe moyenne peut craindre une baisse de son niveau de vie et ressentir une forme d’angoisse face à une paupérisation potentielle, notamment pour les enfants. « Une bonne partie de la classe moyenne considère que la démocratie ne lui sert plus », résume-t-elle.

Elle affirme que, même après l’ère Trump, ce seront selon elle de nouvelles vagues similaires qui pourraient survenir, mettant en lumière une remise en cause profonde du système et non l’effet d’un épisode isolé.

Pour l’auteure de Fractures dans l’Occident, la convergence entre les intérêts des classes moyennes paupérisées et ceux des milliardaires de la tech a contribué à l’émergence de ces bouleversements, qui s’observent à l’échelle nationale et au sein des démocraties occidentales.

Redonner de l’efficacité à la démocratie face aux défis actuels

Pour inverser cette tendance, Gnesotto appelle à traiter les effets négatifs liés à la mondialisation et à redonner à la démocratie une efficacité adaptée au monde contemporain. Elle insiste sur le nécessaire traitement des questions de sécurité et d’identité liées à l’immigration, ainsi que sur la prise en compte de la baisse du niveau de vie par rapport à la génération précédente.

Elle propose une réforme en profondeur du capitalisme tel qu’il fonctionne en Europe et une redistribution plus équitable des richesses, tout en relevants les réticences à de profondes transformations, notamment en France.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey. Adaptation web: Vincent Cherpillod.