IA et immortalité virtuelle : réconfort et enjeux éthiques autour des défunts
IA et immortalité virtuelle : quand l’IA recrée les défunts
Le documentaire s’ouvre sur une interrogation qui résonne fort auprès des spectateurs: « Si vous aviez la possibilité de parler à une personne morte que vous aimez, est-ce que vous le feriez ? Moi, je l’ai fait ». Ce propos pose le cadre et le ton de l’enquête. Le témoignage de Christi Angel, une Américaine dans la trentaine, apparaît comme une confession marquée par le regret: elle explique avoir laissé sans réponse le dernier SMS d’un ami tombé dans le coma puis décédé, avant de tester un simulateur d’IA.
Dans le cadre du film, Christi raconte qu’une réponse du simulateur a été prononcée: en enfer. Christi Angel est décrite comme utilisatrice du service Project December.
Ce type de service en ligne permet de recréer virtuellement la personnalité d’un défunt à partir des traces numériques laissées par la personne: l’IA analyse les messages, photos et vidéos pour générer des échanges qui lui ressemblent.
Pour autant, consciente de dialoguer avec un robot, Christi a été profondément bouleversée par l’expérience: elle a demandé où se trouvait l’être répliqué et a reçu la réponse en enfer, ce qui l’a fortement terrorisée. Elle précise être croyante et évoque le risque de possession.
Des usages variés autour du deuil
À l’inverse, d’autres utilisateurs et utilisatrices de technologies mortuaires, souvent désignées sous le terme grief tech, décrivent dans le documentaire un véritable réconfort trouvé dans ces échanges. Le Canadien Joshua Barbeau, dont la fiancée est décédée peu avant leur mariage, affirme que la première conversation avec le simulateur a été comme un cadeau, allégeant un poids qui pesait depuis longtemps. Il évoque aussi la possibilité d’annoncer à sa fiancée qu’elle avait obtenu son diplôme et d’entendre le simulateur répondre qu’il écrirait au proviseur pour le remercier.
Jang Ji-sung, mère d’une fille décédée d’un cancer, témoigne: La dernière fois que j’ai parlé à ma fille, c’était pour la gronder. La culpabilité qui pesait sur moi m’a beaucoup fait souffrir.
Une séquence de réalité virtuelle réalisée en Corée du Sud a choqué des millions de spectateurs: une mère retrouve sa fille décédée. L’expérience, filmée pour une émission diffusée à la télévision et sur YouTube, a dépassé les 36 millions de vues. Jang Ji-sung explique: La dernière fois que j’ai parlé à ma fille, c’était pour la gronder. La culpabilité que je portais m’a beaucoup fait souffrir. Mais grâce à la réalité virtuelle, je me sens un peu soulagée.
« Qui n’aurait pas envie de revoir son enfant décédé ? » demande une professionnelle de santé intervenant dans le cadre du sujet.
Éthique, risques et limites
Ces technologies soulèvent de très nombreuses questions éthiques. Des experts mettent en garde contre les risques de manipulation émotionnelle et d’exploitation commerciale du deuil. La Valaisanne Rita Bonvin, infirmière spécialisée en soins palliatifs et animatrice des Cafés mortels, pointe l’aspect problématique d’une approche qui peut « attraper » les gens par leurs blessures et demeure éthique et questionnable.
Elle rappelle que, même si le cerveau peut croire au fonctionnement des systèmes et que cela peut apporter un certain réconfort, il ne faut pas croire que l’illusion remplace le travail du deuil.
« Ce qui me fascine, c’est que notre cerveau y croit et que quelque chose s’y apaise. On peut y trouver une forme de réconfort », reconnaît-elle, tout en ajoutant que sur le long chemin de la perte, l’illusion n’apporte pas nécessairement la solution durable.
Mettre des mots sur la mort
Pour Bonvin, l’intérêt de ces technologies met aussi en lumière un besoin profond: parler de la mort et trouver une place pour elle dans les sociétés occidentales où le sujet est souvent tabou. Elle constate que, lorsque surviennent des deuils, les proches entendent fréquemment qu’il faut « passer à autre chose », alors que les émotions restent vivaces et nécessitent d’être exprimées. Les Cafés mortels offrent un espace de parole qui peut s’avérer précieux.
Dans son approche des soins palliatifs, Bonvin observe une difficulté à mettre des mots sur la mort, phénomène amplifié par l’évolution des liens familiaux et communautaires. Selon elle, la mort demeure une affaire privée et trop souvent solitaire, et l’ouverture de lieux d’échanges peut aider à traverser cette étape vitale.
Dans le documentaire, la solitude et le chagrin constituent les principales motivations des personnes qui se tournent vers des simulateurs. Bonvin affirme que le besoin de poursuivre une relation ou d’exprimer certaines choses est parfaitement légitime et qu’il n’y a rien de pathologique dans ce reflex mais que l’acte symbolique demeure nécessaire; la technologie n’est pas une fin en soi.
« Écrire une lettre à la personne décédée ou se rendre dans un lieu cher à elle peut fonctionner sur le même principe que le simulateur: notre cerveau y croit et une partie de nous s’apaise », résume-t-elle. Elle ajoute que chacun doit trouver sa propre manière de continuer une relation avec la personne disparue, que ce soit par l’écrit, le dessin, la marche en nature ou la méditation.
Et si l’apaisement venait peut-être moins de l’IA que de la quête personnelle d’accepter l’absence?
Réflexions et sources documentaires
Le documentaire se clôt sur une présentation des œuvres et des diffusions associées: Avec toi pour toujours – De l’immortalité virtuelle (2023), réalisé par Moritz Riesewieck et Hans Block, disponible sur RTS Play jusqu’au 25 janvier 2026; ainsi que Crettaz, et comme l’espérance est violente… (2024), de Nasser Bakhti.