NBA et activisme politique : une évolution complexe mêlant sport, justice sociale et économie
NBA : sport et activisme, une réalité en mutation
Le basket ne se résume plus à un spectacle sur parquet: plusieurs figures du championnat américain prennent publiquement position sur des questions sociopolitiques, notamment face au racisme et à la violence visant la communauté afro‑américaine.
Parmi les noms les plus cités figurent LeBron James, Stephen Curry et Chris Paul, ainsi que Steve Kerr, l’entraîneur des Warriors. Celui‑ci a pris part à des manifestations et a dénoncé l’inaction politique face à la violence armée et aux fusillades scolaires, tout en soutenant des initiatives en faveur de la liberté académique lorsque des attaques administratives visent des universités.
Des racines militantes remontant aux années 50
L’engagement politique des basketteurs noirs n’est pas récent. Il remonte aux années 1950, lorsque la ligue s’ouvrait enfin aux joueurs afro‑américains en pleine ségrégation.
Des témoignages évoquent des discriminations vécues par les joueurs noirs: refus d’entrée dans certains restaurants, parfois dans des hôtels, et le mépris de l’encadrement, majoritairement blanc, comme le rappellent des chercheurs et historiens consultés pour l’ouvrage NBA, 80 ans d’histoire.
Face à ces injustices, certains sportifs ont pris la parole et revendiqué leurs droits.
Bill Russell et Kareem Abdul‑Jabbar: des précurseurs de l’activisme
Bill Russell, pivot emblématique des Celtics, est présenté comme l’un des premiers champions à défendre les droits et la dignité de chacun. Barack Obama a salué son action lors de l’attribution de la médaille présidentielle de la Liberté en 2011 et a rappelé son engagement aux côtés de Martin Luther King et Muhammad Ali. Russell a aussi désigné les quotas tacites qui limitaient la présence de joueurs noirs dans les équipes de NBA.
Kareem Abdul‑Jabbar, qui a pris la relève dans les années 60, a dénoncé l’hypocrisie médiatique et sociale de l’époque, selon Theresa Runstedtler, professeure d’histoire à l’American University de Washington et autrice de Black Ball. Le prix Kareem Abdul‑Jabbar, attribué depuis 2021, récompense le joueur le plus actif en faveur de la justice sociale dans la ligue.
David Stern et la transformation économique de la NBA
L’arrivée de David Stern à la tête de la NBA en 1984 a profondément changé le paysage: un sport en difficulté est devenu une entreprise prospère, porté par la rivalité médiatisée entre Bird et Magic Johnson et par l’émergence de Michael Jordan.
Cependant, certains observateurs estiment que l’objectif était aussi de concentrer l’attention des fans et des médias sur le jeu plutôt que sur des questions politiques. Theresa Runstedtler rappelle qu’aux années 90 la ligue était perçue par certains fans blancs comme trop noire et hip‑hop, et Stern aurait tenté de discipliner certains comportements par divers outils, tout en reconnaissant que les joueurs n’étaient pas dépourvus de conscience politique.
La renaissance de l’activisme face aux enjeux sociaux
La trajectoire se relance après la mort de Trayvon Martin en 2012 et d’autres affaires impliquant des Afro‑Américains et les forces de l’ordre, jusqu’à George Floyd en 2020 à Minneapolis. Le mouvement Black Lives Matter gagne en ampleur et bénéficie du soutien du nouveau commissaire Adam Silver.
Selon Runstedtler, les athlètes privilégient l’usage de leur notoriété comme caisse de résonance plutôt qu’un engagement frontal, afin de diffuser les messages liés à la justice sociale tout en protégeant les intérêts de la ligue.
Un équilibre délicat entre causes et intérêts commerciaux
La NBA affirme soutenir certaines causes tout en protégeant ses ambitions économiques. Le paysage politique n’est pas homogène: les joueurs et les entraîneurs penchent majoritairement vers le démocrate et critiquent les politiques de Donald Trump, alors que les propriétaires demeurent majoritairement alignés avec les républicains. Selon Benoît Labis, près de 80% des propriétaires NBA seraient donateurs républicains.
Des cas emblématiques illustrent cette diversité, comme la famille DeVos, propriétaires du Magic d’Orlando, ou Tilman Fertitta, propriétaire des Rockets et nouvel ambassadeur américain en Italie. Par ailleurs, la ligue poursuit des partenariats internationaux qui peuvent susciter des critiques des défenseurs des droits humains, notamment en Chine ou au Rwanda.
Selon Runstedtler, la NBA peut conjuguer une sensibilité politique pro Afro‑américaine avec une logique d’expansion et de profit, en cherchant constamment de nouveaux marchés et opportunités économiques.
Rédigé par Cédric Guigon.