Rokhaya Diallo : accueillir l’insolence et l’arrogance comme moteurs d’émancipation féministe

Le livre et l’appel à repenser les codes

Dans l’ouvrage Dictionnaire amoureux du féminisme (Plon, 2025), Rokhaya Diallo rend hommage à des figures telles qu’Angela Davis, Diam’s, Christiane Taubira et Frida Kahlo. L’autrice invite à remettre en question la bienséance, la discrétion et la modestie, et à briser le tabou de la colère, précisant que ce chemin constitue « une étape vers un mieux » et non un idéal définitif.

Quand l’insolence devient signe d’émancipation

Elle décrit ce processus comme une déconstruction des injonctions implicites qui accompagnent les trajectoires féminines. Selon elle, lorsqu’une femme affirme ses idées avec clarté et fermeté, elle est souvent perçue comme insolente et arrogante. L’auteure suggère d’accueillir ces termes, même s’ils paraissent insultants, comme des signaux indiquant que l’on sort du cadre.

Cette notion d’« arrogance » peut aussi se manifester dans des gestes du quotidien, par exemple en affichant le titre Docteure sur ses réseaux sociaux pour signifier une expertise et affirmer ses accomplissements.

Une dimension pratique et publique de l’émancipation

Le livre accorde une place importante à l’art oratoire comme outil d’émancipation. Sur ce thème, l’auteure évoque une collaboration en Suisse lors du Festival Black Helvetia, dont la prochaine édition est annoncée pour 2026. À Neuchâtel, Diallo organise et copréside une formation destinée à démocratiser l’accès à la sphère publique — médiatique, culturelle et politique — avec une quarantaine de participantes.

Parcours personnel et réalité médiatique

Elle témoigne de ses débuts dans les débats radiophoniques et télévisuels en France, lorsqu’elle était souvent la seule femme et que finir ses phrases pouvait être difficile en raison d’interruptions et de cris. Cette expérience illustre les obstacles à l’expression lorsque les idées risquent de susciter le débat ou le déplaire.

Aujourd’hui, la situation dans les médias évolue: davantage de femmes prennent la parole et commentent l’actualité politique, même si le chemin n’est pas encore parfait. Diallo souhaite contribuer à cette évolution tout en affirmant que la formation ne s’adresse pas qu’aux médias.

Des avancées et des limites

Selon elle, il est indispensable d’unir les efforts pour modifier des mécanismes structurels et soutenir celles et ceux qui s’expriment publiquement, même si cela peut créer de l’inconfort à court terme.

Une remise en question qui rassemble

Diallo rappelle que son message s’adresse aussi aux hommes blancs issus des classes populaires et qu’un mouvement comme celui des gilets jaunes illustre un cri des catégories exclues de la vie publique et économique. Elle déplore le mépris manifesté à leur égard, y compris de la part des autorités.

En réponse aux critiques qui la présentent comme clivante, elle réplique que ceux qui tiennent ce propos peuvent s’autoriser à ne pas remettre en question les fondements de la société. « Je ne crois pas qu’on puisse interroger une société injuste sans déplaire, sans que cela ne provoque de l’inconfort. » Elle ajoute que « se remettre en question et s’enrichir des interactions nouvelles, je crois au contraire que ça nous réunit ».

Propos recueillis par Pietro Bugnon. Texte web : Pierrik Jordan.